Angélique Duchemin est née à Dinan en 1772. Fille d’un soldat de métier, elle suit son père avec ses frères, dans les garnisons où il est affecté. En 1789 à Ajaccio, elle épouse à 17 ans le caporal André Brulon, un militaire du 42ème régiment dans lequel servait son père. Lors d’une escarmouche entre révolutionnaires et indépendantistes, son mari est grièvement blessé et meurt en 1791. Angélique, veuve à 19 ans, mère d’une petite fille et attendant son deuxième enfant, décide de remplacer son mari au sein du régiment.
Voici la suite de son histoire racontée dans La Cocarde, journal politique quotidien du 3 juillet 1903.
Cruellement atteinte dans cette affection chère, enflammée du sentiment impérieux de venger la mort de son infortuné mari, la jeune veuve, dans un transport de douleur virile, qui étonne et qui émeut, saisit le fusil du soldat et demande à faire expier aux rebelles le malheur dont elle a été frappée. Chacun, autour d’elle, respecte ce mouvement spontané d’une douleur touchante, convaincu que le temps et le péril calmeront l’ardeur de la veuve éplorée. Malgré les mauvais vouloirs et les sourires railleurs, elle persista dans sa résolution. Alors, dans l’espoir de la faire reculer définitivement, on se décide à lui préparer une terrible et décisive épreuve. Deux soldats placés en vedette sur un rocher à pic au bord de la mer, avaient été tués l’un après l’autre dans la même journée. On les avait trouvés baignés dans leur sang et terrassés sous les coups de poignards de la vendetta. Le lendemain de ce jour funèbre, on prévient la veuve Brulon qu’elle va occuper un poste isolé, où les deux vedettes avaient été tuées. On lui laisse cependant la faculté de reculer, à la condition de déposer l’arme du soldat ; mais elle accepte sans hésiter le danger qu’on lui offre, saisit son fusil et marche au poste périlleux.
Bientôt, elle se trouve seule sur le rocher fatal contre lequel la mer venait mugir avec furie. Elle demeura deux heures dans cette horrible attente. Le caporal de service se présenta pour la relever de son poste avant l’heure ; elle le renvoya résolument disant qu’elle accomplirait son devoir entièrement. Personne ne vint. La veuve Brulon avait dès lors commandé l’estime de ses chefs et le respect de ses compagnons d’armes.
Autorisée à rester au service malgré son sexe, elle se fit bientôt remarquer par une conduite aussi honorable que courageuse. On lui donna le nom de guerre de Liberté, sous lequel elle a fait ses campagnes, pendant les sept ans qu’elle a servi dans le 42ème régiment, qui est devenu la 83ème demi-brigade et après le 57ème de ligne. Nommée caporal, caporal-fourrier, et enfin sergent-major, elle se distingua surtout par sa bravoure et son courage à la défense de Calvi.
A l’exemple de Jeanne Hachette, la veuve Brulon excita les femmes à prêter leur concours aux hommes qui ne suffisaient plus, entraînant par sa parole et son exemple. Les femmes, oubliant la faiblesse de leur sexe, portèrent des munitions dans les postes extérieurs, apportèrent de la terre sur les bastions pendant un bombardement de 13 jours ; la ville fut presque entièrement détruite par 3000 bombes.
Nous avons sous les yeux les nombreux certificats authentiques* qui signalent les exploits de cette héroïne ; il en est un signé de tous les soldats du détachement qui, sous les ordres de la veuve Brulon, concoururent à la défense du fort de Gesco.
Plus tard, toujours au siège de Calvi, défendant un bastion, en qualité de sous-officier, elle fut grièvement blessée par un éclat de bombe à la jambe gauche, alors qu’elle manoeuvrait une pièce de seize. Cette blessure l’ayant rendue impropre au service, elle fut admise à l’Hôtel des Invalides le 24 frimaire an VII.
Le général Lacombe ST-Michel, dans une lettre adressée au général Serrurier, alors gouverneur des Invalides, lui signalait la veuve Brulon comme « s’étant rendue digne, par ses qualités au-dessus de son sexe, de participer aux récompenses créées pour les braves ». Et le ministre de la guerre Schérer attestait « qu’elle s’était toujours comportée avec honneur, bravoure, intelligence et blessée en combattant pour la gloire de la Patrie ». Trois blessures et sept campagnes !!
Le 2 octobre 1822, elle reçut le Louis XVIII, sur la proposition du Gouverneur des Invalides, le brevet de sous-lieutenant. Ce fut seulement en 1851 que le « sous-lieutenant » Brulon fût nommé chevalier de la Légion d’honneur. Madame Brulon a exercé pendant 30 ans des fonctions actives à l’Hôtel, conservant toujours l’uniforme militaire, elle s’y fit remarquer par une conduite digne d’être citée en exemple. Elle y mourut le 13 juillet 1859, âgée de 88ans environ, après quelques instants de fièvre et sans crise violente.
* « Nous soussignés, caporal et soldats du détachement du 42e régiment, en garnison à Calvi, certifions et attestons que, le 5 prairial an II, la citoyenne Marie Angélique Josèphe Duchemin, veuve Brûlon, caporal fourrier, faisant fonction de sergent, nous commandait à l'affaire du fort de Gesco ; qu'elle s'est battue avec nous avec le courage d'une héroïne ; que les rebelles corses et les Anglais ayant chargé d'assaut, nous fûmes obligés de nous battre à l'arme blanche ; qu'elle a reçu un coup de sabre au bras droit et, un moment après, un coup de stylet au bras gauche, que nous voyant manquer de munitions, à minuit, elle partit, quoique blessée, pour Calvi, à une demi-lieue, où, par le zèle etle courage d'une vraie républicaine, elle fit lever et charger de munitions environ soixante femmes, qu'elle nous amena elle-même escortée de quatre hommes, ce qui nous mit à même de repousser l'ennemi et de conserver le fort, et qu'enfin nous n'avons qu'à nous louer de son commandement. »